jeudi 13 février 2014

A lire d'urgence, Le Tonneau de Freeman Wills Crofts



S'il est erroné de croire que, sous l'Antiquité grecque, Diogène de Sinope dormait dans un tonneau (les romains se servaient de tonneaux mais les grecs, eux, utilisaient des jarres en terre cuite pour stocker céréales, vin et huile), c'est bel et bien autour d'un tel récipient que l'intrigue magistrale de ce livre va tourner.

Londres, printemps 1912, lors du déchargement, sur les Docks Sainte Katherine, d'un navire transportant des tonneaux de vin, l'un d'entre eux choit. L'employé chargé de superviser le débarquement de la marchandise constate alors que ce tonneau est de facture différente des autres, sa structure est renforcée et son poids bien supérieur. Une inspection plus poussée fait apparaître que, par l'une des douves qui s'est ébréchée lors de sa chute, de la sciure et des souverains (des pièces d'or, pas des têtes couronnées) s'échappent du tonneau. Intrigué, il demande alors à l'un des hommes chargés du débarquement de la marchandise d'agrandir un peu plus le trou et découvre d'autres souverains au milieu de la sciure mais également une main, qui se prolonge très certainement par un corps entier et refroidi...
Les pérégrinations de ce tonneau vont faire tourner en barrique, sur près de 500 pages, deux inspecteurs, l'un de Scotland Yard, l'autre de la Sureté parisienne, et les entrainer ainsi que le lecteur dans une enquête de l'Angleterre à la France en passant par la Belgique.

De l'intrigue, c'est tout ce que je dévoilerai dans ces lignes afin de ne pas vous gâcher la lecture. Ce qui serai dommage; et dans cette optique, je ne saurai que trop vous conseiller de ne pas lire la quatrième de couverture qui lève un peu trop le voile sur des faits et des informations que le lecteur ne découvre qu'assez tardivement au cours du récit.
Par contre ce que je peux décrire, sans pour autant vous ôter le plaisir de la lecture et peut-être même parvenir à vous mettre l'eau à la bouche (et ce livre entre les mains), c'est le talent d'écriture de cet auteur, Freeman Wills Crofts.
Pour commencer, on peut dire que le malheur de cet homme a fait le bonheur des amateurs de roman à énigme: si en 1919 une longue maladie n'avait pas obligé cet ingénieur des chemins de fer irlandais à garder le lit, peut-être n'aurait-il jamais écrit de romans policiers, ou écrit tout court. En effet, alité, incapable de rester couché à ne rien faire, Freeman Wills Croft a profité de ses longs mois de convalescence pour prendre la plume. Son premier livre publié, tout juste un an après, en a fait de suite l'un des maîtres du roman policier anglais; ce livre avait pour titre « Le Tonneau ».
Les critiques enthousiastes pleuvent et Raymond Chandler (écrivain américain influent et créateur du détective privé Philip Marlowe) décrit, alors, l'ouvrage comme « sans doute le meilleur premier roman policier jamais écrit. »
Il faut avouer que pour un premier ouvrage, c'est un vrai coup de maitre. L'auteur excelle autant par la qualité de son intrigue que par celle de sa narration. Autant le dire tout de suite, sur ce dernier point, il ne révolutionne pas le genre mais s'inscrit dans une tradition classique qu'il maitrise totalement. Le résultat est un récit fluide, sans digressions inutiles.
Pourtant, il ne verse pas dans la facilité; son roman ne met pas en scène un super détective dont le caractère et/ou les performances intellectuelles en feraient un sujet à part entière, béquille d'une intrigue pouvant être bancale. Non, l'enquête est un pur travail d'investigation policière, avec recherche de pistes, visites, interrogatoires, rapports au supérieur, de deux inspecteurs, on ne peut plus communs, suivant la procédure.
Ce qui frappe surtout au fil du roman est la précision dont fait preuve l'auteur lors de la description des faits. Malgré la multiplicité des informations concernant les horaires et les déplacements, le lecteur ne se sent pas embrouillé et le récit ne paraît pas alourdi.
Mais ce qui m'a plu le plus, hormis bien sûr la complexité de l'affaire et sa résolution tout en finesse, reste le tableau peint par Freeman Wills Croft du Paris du début du 20e siècle. Ses descriptions nettes et précises plongent immédiatement le lecteur dans l'atmosphère de la capitale française. Sa rigueur à donner le nom des rues et quartiers où se déroule l'action permettrait même de suivre aujourd'hui tout le parcours de l'enquête.
Du bourgeois au cocher, les personnages sont décrits avec justesse en quelques coups de stylos. Rien de superflus mais rien de mécanique, non plus.
Un vrai style qui n'a rien de flamboyant mais dont la simplicité ne met qu'un peu plus en valeur la belle complexité de l'énigme qui nous est offerte.

A mon sens, cet excellent ouvrage devrait absolument se trouver dans les bibliothèques des amateurs de romans d'énigme.